« Tazzeka » : un film qui ouvre l’appétit et le débat sur l’immigration

« Tazzeka » : un film qui ouvre l’appétit et le débat sur l’immigration

Elias (Madi Belem) est un adolescent, libre et candide, qui cultive la terre pour vivre. Son bureau, c’est la nature et ses collègues sont des ânes ou des poules. Et tout en travaillant dur, le jeune homme récite des recettes de cuisine française lues dans ses livres ou vues dans son émission de télé préférée, présentée par le grand chef parisien, Julien Blanc (Olivier Sitruk). Des recettes françaises d’un côté et marocaines de l’autre, transmises par sa grand-mère qui l’éduque comme son fils. Lui et son grand frère, aujourd’hui malheureusement disparu en essayant de traverser le détroit de Gibraltar pour gagner la France.

Une fois rentré des champs, Elias commence alors une autre journée : il cuisine des plats typiques dans un petit restaurant, sous l’œil bienveillant mais autoritaire de son patron, Youssef (Abbes Zahmani). Et là, l’adolescent se fait plaisir. Il se sent à sa place. Un tajine et un rêve sur le feu : devenir un grand nom de la gastronomie. Avec talent, il utilise donc ses mains autrement. Ses mains et sa tête. Chaque jour, sa cuisine est saluée. Mais Elias n’est pas satisfait de lui pour autant. Il rêverait de revisiter les plats marocains, de proposer un tajine au pain perdu, une pastilla au caviar ou encore de faire découvrir la cuisine française à ses clients. Mais il ne peut pas : son chef Youssef voit d’un mauvais oeil son imagination et son audace.

Et puis, un jour, Julien Blanc pousse la porte de son restaurant. Elias n’en croit pas ses yeux. Paniqué mais surtout surexcité, il improvise un dessert à la crème de pistache qu’il souhaite à la hauteur du chef. Un dessert qui fait mouche. Julien Blanc le félicite et l’invite à lui rendre visite dans son célèbre restaurant parisien, situé à Montmartre. Puis le chef s’en va et Elias, plein d’espoir, pense sérieusement à suivre ses pas. Dans tous les sens du terme. Mais comment délaisser sa grand-mère ? Comment ne pas finir comme son grand frère ? Et comment travailler à Paris sans argent ni papiers ?


Du Maroc à la France, de la douceur pimentée à   l’amère vérité 

Brutalement, d’une image à une autre, sans aucune transition, le spectateur passe du Maroc à la France, de Tazzeka à Paris, des grands espaces verts au bitume gris mais surtout, du jeune marocain ingénu et passionné à l’immigré éteint et robotisé. Elias est méconnaissable. Son style est plus sportwear, jean, sweat et baskets et son regard est plus dur. Plus froid. Exit la candeur et la lumière. Exit la passion et la cuisine. Le rêve a tourné. Cramé. Périmé.

Comme son allure et son regard, sa routine a bien changé : tous les jours, Elias attend sur le trottoir qu’une camionnette s’arrête pour proposer du travail au black sur un chantier. Il attend sans espoir au milieu d’autres étrangers. Ce trottoir semble d’ailleurs rassembler toutes les nationalités que la France rejette ou rassemble en HLM. De semaines en semaines, Elias ne découvre donc pas de nouvelles recettes ou de grands restaurants mais la dictature de la faim et de la peur au fond du ventre. La précarité, le danger, les descentes de police et l’amère vérité.

Deux parties, deux ambiances mais un seul message

« Tazzeka » est coupé en deux parties bien distinctes. Toutes deux, cependant, rassemblant du bon et du mauvais. La première est tournée au Maroc, en arabe, dans des grands espaces qui mêlent liberté et pauvreté, tradition et famille, joie et frustration. Celle-ci parle essentiellement de cuisine. La seconde est tournée en France, à Paris, en français, dans des arrondissements populaires et des ruelles étriquées où Elias se confronte, au début, à un accueil inhospitalier, à la clandestinité, à l’illégalité et à l’inégalité des chances avant de rencontrer sur sa route l’amitié, la solidarité, l’espoir, l’opportunité. Celle-ci parle majoritairement d’immigration. Celle qui n’a pas le droit de dire « j’y arrive pas » ou de dire « non ». 

Aucune partie du film n’est donc romancée, édulcorée, minimisée ou exagérée. Le réalisateur, Jean-Philippe Gaud évite les raccourcis et les clichés grâce à la finesse et la régularité des nuances. Chaque partie du film propose une vue d’ensemble à 180 degrés et dessine un tableau mitigé. Le message qui s’en dégage est : la caricature et l’idéalisation sont dangereuses, aucune situation n’est simple et parfaite. Ce qui évite les trémolos du mélodrame.

Le prisme joyeux de la cuisine pour parler d’immigration

Tout comme le réalisateur évite de parler d’immigration de façon directe et classique avec un ton complaisant et fataliste. Il le dit très bien lui-même : « Tazzeka est né du désir de concevoir un film qui puisse parler des questions d’immigration en proposant, par des touches d’espoir, une approche moins dure et dramatique que ce qui fait généralement la une de l’actualité. Le pari du film était d’avoir un ancrage dans le réel sur un ton léger ». Jean-Philippe Gaud ne veut pas exposer des chiffres froids et des statistiques, confronter des idées et des gouvernements politiques, opposer deux mentalités et deux pays. Il ne veut donner ni leçons ni solutions, ne veut montrer ni parcours totalement chaotiques ni vies complètement épargnées.

Le réalisateur utilise une autre entrée et un autre prisme. Un prisme passionné, savoureux, festif et joyeux : celui de la cuisine. Ce qui évite, encore une fois, les trémolos du mélodrame et qui, surtout, créer la surprise. Au premier abord, le spectateur pense voir un film qui parle essentiellement de cuisine et il se fait manger à une autre sauce : il se retrouve avec la thématique sensible de l’immigration sous les yeux. Et sur les épaules. Car, forcément, le spectateur se sent concerné, sensibilisé et responsabilisé. Forcément, en sortant de la salle, le spectateur a des recettes en tête et des hommes dans le cœur. Forcément, « Tazzeka » donne faim… de plats et de changements.

« Tazzeka », un film de Jean-Philippe Gaud avec Madi Belem, Abbes Zahmani, Ouidad Elma, Adama Diop et Olivier Sitruk, sortie en salles le 10 octobre 2018 (1h35). 

« Tazzeka » : un film qui ouvre l’appétit et le débat sur l’immigration